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Alors que le carcinome rénal représente environ 3% des cancers, celui-ci s’accompagne d’un thrombus de la veine cave inférieure dans 4 à 10% des cas. Avec une survie médiane de 5 mois et un taux de survie à 1 an estimé à seulement 30% en l’absence de prise en charge, le thrombus de la veine cave inférieure est malheureusement un facteur de mauvais pronostic dans la prise en charge du carcinome rénal. Le traitement chirurgical  par néphrectomie avec thrombectomie tumorale représente alors la seule option thérapeutique. Cette opération, particulièrement délicate à cause des risques hémorragiques et d’embolie, requiert le plus souvent une approche pluridisciplinaire et nécessite ainsi une étroite collaboration entre spécialistes ; elle permet d’obtenir un taux de survie sans rechute compris entre 40 et 65% après 5 ans selon les études.

 

1. Imagerie et classification

Les thrombus de la veine cave inférieure ayant pour principale cause le carcinome rénal, ceux-ci sont systématiquement recherchés par imagerie médicale dans le cadre du bilan d’extension initial de ce cancer. Ils résultent dans ce cas de l’extension tumorale veinophile du carcinome rénal qui se propage d’abord à la veine rénale puis à la veine cave inférieure (veine qui permet de faire remonter jusqu’au cœur le sang non-oxygéné provenant de l’ensemble des membres inférieurs et des organes situés dans la cavité abdominale).

Schéma rein

 

L’imagerie médicale peut se faire par IRM ou tomodensitométrie (CT-scan) ; elle permet aux chirurgiens de repérer à l’avance et avec précision l’étendue du thrombus tumoral à éliminer (thrombectomie) en complément du rein atteint par le carcinome (néphrectomie). Le thrombus tumoral est ainsi caractérisé selon 4 stades d’après la classification de Klein et Novick :

– stade I péri-rénal: thrombus tumoral limité remontant à moins de 2cm dans le veine cave inférieure (à partir de la veine rénale);

– stade II infra-hépatique: thrombus s’étendant de plus de 2cm dans la veine cave inférieure mais sous les veines hépatiques (qui drainent le sang provenant du foie) ;

– stade III rétro-hépatique: thrombus étendu au-dessus des veines hépatiques mais ne s’étendant pas au-dessus du diaphragme ;

– stade IV supra-diaphragmatique: thrombus s’étendant au-dessus du diaphragme, et pouvant même dans certains cas extrêmes atteindre le cœur au niveau de l’oreillette droite.

schéma veine hépatique

Offrant la possibilité de reconstituer de manière précise les structures anatomiques selon de multiples plans, l’IRM est devenue la méthode de détection de référence en remplaçant la cavographie ; elle présente les avantages de ne pas émettre de radiations ionisantes et d’être une méthode de détection non-invasive. Avec les techniques actuelles, la sensibilité de détection des thrombus cave est ainsi supérieure à 90% selon de nombreuses études.

 

2. Coordination et optimisation préopératoire

Du fait de la complexité de ce geste chirurgical (mortalité comprise entre 5 et 12,5%), la maîtrise technique du chirurgien urologue est complétée par le renfort d’un chirurgien vasculaire en cas de thrombus tumoral de stade II ou plus, éventuellement d’un spécialiste en chirurgie hépatobiliaire en cas de stade III, et d’un spécialiste en chirurgie cardio-thoracique en cas de thrombus de stade IV.

Une collaboration étroite avec l’équipe d’anesthésie est également indispensable, ce type d’opération requérant au minimum la pose d’une ligne artérielle, d’un cathéter artériel pulmonaire et d’un cathéter veineux central ; cette collaboration doit être d’autant plus étroite que l’intervention peut également nécessiter  pour les patients présentant un thrombus de stade III ou IV(ou dont le cœur ne peut supporter une interruption du débit provenant de la veine cave inférieure, ou en cas de reconstruction vasculaire complexe) la mise en place d’un pontage veineux-veineux ou cardiopulmonaire, ce dernier étant réservé au stade IV le plus souvent.

Du fait du risque majeur d’hémorragie, l’équipe se met  en situation de réaliser des transfusions importantes pour pallier aux pertes sanguines.

Un traitement anticoagulant est administré au patient en cas de thrombus induisant une occlusion complète ou quasi-complète, d’évènements thrombotiques ou emboliques récents ou en cas de présence d’un thrombus classique formé par agrégation plaquettaire et activation de la coagulation (à la différence du thrombus tumoral). Les dernières recommandations préconisent l’administration d’héparines de bas poids moléculaire 24h avant la chirurgie.

La pose de filtres dans la veine cave inférieure est le plus souvent évitée hormis en cas d’embolie pulmonaire ou chez les patients ne pouvant pas recevoir d’anticoagulants.

La ligature première de l’artère rénale est le temps initial de l’intervention et permet de faciliter la dissection des tissus malgré l’œdème consécutif à l’hypoxie et à la nécrose cellulaire. Elle a également pour but de diminuer le saignement et d’empêcher la dissémination de cellules tumorales. Elle aurait également un rôle bénéfique sur l’activation locale des lymphocytes NK (Natural Killer cells : cellules ayant un rôle fondamental dans l’immunité innée).

L’embolisation rénale préopératoire avec un cathéter est quant à elle déconseillée du fait du risque de syndrome post-embolisation correspondant à une réponse immunitaire inappropriée. Elle est parfois incontournable quand l’imagerie évoque l’impossibilité de l’abord et de la ligature première de l’artère.

Enfin, il convient également de souligner que des thérapies ciblées dites néo-adjuvantes, c’est-à-dire administrées en vue de l’opération, peuvent permettre de réduire la taille du thrombus dans 5 à 44% des cas selon les études et ainsi de faciliter la thrombectomie avec un geste chirurgical potentiellement moins invasif.

3. Approche chirurgicale

L’objectif du geste chirurgical est d’éliminer toutes les cellules tumorales. En plus de la néphrectomie radicale et de la thrombectomie tumorale, cette opération peut nécessiter la résection d’une partie plus ou moins importante de la veine cave inférieure avec ou sans reconstruction vasculaire, curage ganglionnaire ou ablation éventuelle des métastases.

De nombreuses approches peuvent être envisagées ; le choix de la technique dépend principalement de la pratique du/des chirurgien(s), de leur(s) niveau(x) d’expérience et de leur(s) préférence(s) mais bien évidement également de l’anatomie du patient. Le niveau d’extension du thrombus tumoral reste cependant un critère clé.

Bien que des techniques de chirurgie mini-invasives laparoscopiques (assistées d’un robot ou non) aient déjà été expérimentées, pour l’instant principalement dans des cas de thrombus de stade peu étendus à la veine cave inférieure, la pratique la plus courante se fait par chirurgie ouverte.

La néphrectomie radicale peut être réalisée après une incision médiane, bi-sous-costale en chevron (V inversé au niveau du haut de l’abdomen) ou sous costale dans les cas de thrombus tumoral de stade I à III. Afin de réséquer un thrombus tumoral de stade IV, l’incision peut être prolongée par sternotomie médiane ou éventuellement en faisant une incision de thoraco-phréno-laparotomie droite (mais cette dernière est associée à de plus importantes douleurs postopératoires).

En cas de petit stade I présentant un thrombus tumoral très peu étendu,  occupant la seule veine rénale ou affleurant à la veine cave inférieure, néphrectomie et thrombectomie peuvent le plus souvent être réalisées « en bloc » après résection latérale la veine cave inférieure sur un clamp de SATINSKY.

Au stade II, la pratique consiste tout d’abord à isoler la section de la veine cave inférieure occupée  par le thrombus tumoral en contrôlant par mise sur lac la veine cave au niveau de l’extrémité proximale, au dessus du thrombus, sur la veine du rein opposé (sain en théorie) et également en infrarénal, sous le thrombus. C’est le contrôle proximal qui est le plus délicat en fonction du niveau de remontée du thrombus.

La ligature des veines lombaires et des veines hépatiques accessoires peut également être nécessaire pour limiter l’hémorragie due au retour veineux afin d’obtenir le contrôle vasculaire escompté.

Une fois le contrôle des axes vasculaires effectué , les clamps vasculaires veineux sont posés.

Une incision longitudinale de la veine cave est réalisée pour ouvrir sa lumière et  extraire le thrombus, plus ou moins adhérent à la paroi veineuse.

La prise en charge chirurgicale d’un thrombus tumoral de stade III est affaire de cas par cas et peut nécessiter le renfort d’un chirurgien hépatobiliaire. La pratique consiste généralement à mobiliser le foie vers le côté gauche de la cavité péritonéale afin de contrôler  la veine cave inférieure au dessus du thrombus tumoral.

Au stade IV, quand le thrombus tumoral remonte dans l’oreillette droite, le renfort d’un chirurgien cardio-thoracique est nécessaire . Le pôle supérieur du thrombus peut être controlé par introduction du doigt du chirurgien dans l’oreillette par l’auricule à coeur battant . Dans d’autres cas la mise en place d’une circulation extra-corporelle est nécessaire.

Enfin, le chirurgien pratique un examen approfondi de la paroi de la veine cave inférieure en raison de la possibilité d’envahissement par le thrombus tumoral.

Cette situation peut  nécessiter une résection plus ou moins importante de la paroi de la veine cave, en fonction de son étendue. Si cette résection vasculaire diminue de plus de 50% la lumière de la veine cave inférieure, une reconstruction vasculaire est réalisée à l’aide de greffons autologues (provenant du patient), biologiques ou synthétiques.

 

extraction du thrombus cave - cancer du rein

 

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