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La médecine moderne a pour ambition d’utiliser le bon traitement chez le bon patient. Cette volonté d’aboutir à des thérapies de plus en plus ciblées passe par la recherche d’anomalies génétiques causales, notamment de mutations qui peuvent affecter de très nombreux gènes. Les mutations héréditaires de certains gènes impliqués dans la réparation de l’ADN, tels BRCA2, sont associées à une augmentation du risque de cancer prostatique létal. Leur prévalence dans les formes localisées de cette tumeur maligne est inconnue, mais probablement faible tout au moins quand il n’existe pas de prédisposition familiale connue. De ce fait, leur dépistage en routine ne saurait être préconisé. Il semble en être autrement dans le cancer prostatique métastasé (CPM) si l’on en croit les résultats d’une étude transversale récemment publiée dans le New England Journal of Medicine.

La population étudiée se compose de 692 patients atteints d’un CPM documenté, sans antécédents familiaux de cancer au moment du diagnostic. Une analyse génomique par séquençage multiplex a recherché des mutations intéressant 20 gènes de réparation de l’ADN, au demeurant impliquées dans la transmission autosomique dominante de certains cancers à prédisposition génétique. Au total, 84 mutations géniques présumées délétères ont été identifiées chez 82 patients, au sein de 16 gènes incluant notamment BRCA2 (n = 37 [5,3 %]), ATM (n = 11 [1,6 %]), CHEK2 (n = 10 [1,9 %]), BRCA1 (n = 6 [0,9 %]), RAD51D (n = 3 [0,4 %]) et PALB2 (n = 3 [0,4 %]).

La fréquence de ces mutations s’est avérée indépendante des antécédents familiaux de CP ou encore de l’âge au moment du diagnostic. En cas de CPM, elle s’est avérée supérieure à celle observée en cas de CP localisé (n = 499), soit 11,8 % versus 4,6 % (p < 0,001), mais aussi à celle de sujets indemnes de cancer (n = 53 105) inclus dans une vaste population témoin l’Exome Aggregation Consortium, soit 2,7 % (p < 0,001).

Cette étude multicentrique plaide en faveur d’une prévalence élevée (11,8 %) de mutations affectant certains gènes de réparation de l’ADN chez les patients atteints d’un CPM, a priori bien supérieur à celle établie en cas de CP localisé ou encore au sein d’une population de référence. Il s’agit d’une voie de recherche intéressante, car les gènes de réparation de l’ADN jouent un rôle critique dans la cancérogenèse. L’intégrité de la double hélice est en effet en permanence menacée en raison de la multiplicité des agressions environnementales, a fortiori si les gènes qui guident le processus de réparation sont génétiquement défaillants.

Cependant, l’étude en question souffre de certaines limitations qui doivent être prises en compte avant de proposer un dépistage génétique chez les patients atteints d’un CPM. Ainsi, les méthodes d’analyse de l’ADN ont varié d’un centre à l’autre. Par ailleurs, il n’existe pas de groupe témoin véritable, avec appariement selon l’âge et d’autres facteurs pronostiques d’importance, de sorte que l’estimation de la prévalence des différentes mutations n’est pas exempte des biais les plus divers. De surcroît, leur existence chez des parents, notamment les descendants, n’est qu’un marqueur du risque de CP et, à l’heure actuelle, aucune étude de cohorte prospective ne permet d’évaluer les risques correspondants, à la différence des formes familiales de certains cancers du sein où le gène BRCA2 est impliqué.

Pour toutes ces raisons, il importe de poursuivre les recherches dans la voie tracée par cette étude, sans tomber dans un dépistage génétique systématique même ciblé, lourd de conséquences individuelles et collectives, quand on connaît la haute prévalence du CP. Toute extrapolation à partir d’autres cancers à prédisposition génétique n’est ni plus ni moins que hasardeuse ; la génomique n’étant qu’un instrument puissant qui est loin d’être parfaitement maîtrisé à l’heure actuelle.

Source: JIM.FR – Dr Philippe Tellier